|
|
|
|
|
Préambule du roman "Léocadie"
Lors de la rédaction du roman Léocadie, l’auteur avait initialement pensé débuter par un préambule, mais, après maintes réflexions, il a préféré ne pas l’utiliser.
Nous vous présentons donc ce texte, ici, accompagné de quelques illustrations.
Le vrai début de mon histoire remonte à plus de cent trente ans. Cela se passait au nord de Montréal… Dans un des sous-bois qui entouraient sa réserve, un jeune Iroquois chassait. Là-bas, sous les branches basses d’un grand sapin, quelque chose avait bougé. L’Indien hésita un moment. Tous ses sens en alerte, il
s’approcha doucement, tendit son arc, visa... et desserra les doigts. La branche s’agita dans un nuage de neige. Le jeune garçon s’élança et, d’un geste rapide, saisit sa proie. — Tu croyais m’avoir déjoué, n’est-ce pas? Il regardait fièrement l’animal qu’il venait de saisir. Satisfait de sa prise, il imaginait déjà l’étonnement
de sa sœur, lorsqu’il arriverait au village : — C’est Simon! Il ramène un lièvre! Enfin! Son oncle ne pourrait plus lui dire et redire
qu’à douze ans, il était trop jeune pour chasser seul dans la grande forêt! Si son oncle avait su, jusqu’où il s’était aventuré cette fois! Mais cela, il ne s’en vanterait pas. Pas tout de suite
du moins. Le vent froid le sortit de sa rêverie. Il regarda le ciel qui s’assombrissait. De gros flocons s’étaient mis à tomber. Réalisant
qu’il devait se presser s’il ne voulait pas se perdre dans cette tempête, Simon, ramassa son sac, y enfonça le lièvre et s’engagea sur le sentier du retour. Il posait ses raquettes dans les traces qu’il avait laissées un peu plus tôt. Déjà la neige commençait à les effacer. Le vent prenait de la force. Il se changeait en bourrasques et c’est à
peine si l’Indien pouvait distinguer les grands pins qui bordaient le sentier. C’était le blanc total. Le jeune chasseur repassait dans sa tête les points de repère qu’il s’était fixés : les trois roches
plates, le cèdre mort, le bouleau croche qui ressemblait au chef Sosé… la clairière qui menait au ruisseau gelé… la vieille clôture. Il savait que rendu là, il devrait enlever ses raquettes pour escalader
le rocher… ensuite, aller vers la droite, remonter une colline et enfin, il verrait les premières maisons du village. Voilà déjà les trois roches… non! Celles-ci étaient plus grosses. Là!… Non!
Elles étaient moins plates. Le vent soufflait toujours, soulevant de grands tourbillons qui venaient danser autour de Simon. Le temps passa. Était-ce son imagination? À travers le souffle régulier de la tempête, il percevait
un gémissement. Un animal en détresse? Tiens! Encore! Serait-ce un daim? Un orignal? Un loup?… Simon recula à cette dernière pensée. Il serrait fermement son couteau. Plus rien! Seul le sifflement régulier
du vent. C’était sûrement une illusion. À demi rassuré, il avançait avec peine. Il trébuchait, se relevait, trébuchait encore. Cette fois, c’était certain. Il avait bien entendu. Cela
venait de la gauche. Là! Derrière cette butte! Il s’approcha lentement. Soudain, un petit cri aigu le fit sursauter. Il recula d’un pas, reprit courage, dégagea
la neige de ses mains… Il n’en crut pas ses yeux! Enveloppé dans une épaisse couverture, à travers l’écran de neige qui commençait à le recouvrir, un bébé le regardait. Instinctivement, Simon le souleva. — Qu’est-ce que tu fais ici, toi? Où est ta maman?… Ohé! Il y quelqu’un? L’Indien tenta de crier plus fort que
le vent… ou de distinguer une quelconque forme à travers l’épais voile blanc qui enveloppait la forêt. Rien! Sa surprise passée, l’enfant s’était mis à pleurer. Il s’agitait dans les bras
du garçon. Que faire? Il ne pouvait tout de même pas l’abandonner! Non seulement Simon n’était-il plus très sûr de son chemin, mais il y avait maintenant ce bébé qui réclamait des soins.
Les heures passèrent. Au village iroquois de Kanesatake, la tante de Simon s’inquiétait : — Que fait-il? Il est parti depuis
ce matin! Chercher du bois qu’il disait! Ah! Et cette tempête maintenant! — Simon sait se débrouiller! Vous le savez bien! fit une jeune fille, occupée à écraser des
grains de maïs dans un grand bol de bois. — Je sais, Agathe! Je sais! Mais, parfois j’ai l’impression que Simon est comme son père… tout ici (l’Indienne montrait sa poitrine)…
et rien là! (elle montrait sa tête) tu sais où cela le mènera? Tu sais? — Oui! Je sais! À la prison de Ste-Scholastique! Ne le jugez pas aussi sévèrement, ma
tante! Il n’est qu’un garçon! Moi aussi, à son âge, j’étais… — Toi, tu prenais déjà soin de ta mère! et…, lorsqu’elle est
morte, tu… — Oui, vous avez sans doute raison, concéda Agathe qui n’aimait pas se rappeler cette période douloureuse qu’elle avait vécue quatre ans plus tôt. Pour
défendre encore son frère, la jeune fille ajouta : — Simon est comme tous les garçons de son âge. Il rêve de devenir un brave guerrier… — Un brave guerrier! Ah! Fais-moi rire, Agathe! Nous sommes en 1870! Regarde autour! Tu en vois des braves guerriers, toi? C’est du passé tout cela! Nos braves guerriers sont maintenant de pauvres bûcherons à la solde
de ces Seigneurs, ces messieurs les Sulpiciens! Ils arrachent les quelques branches qui restent de cette forêt immense qui autrefois appartenait à nos ancêtres. — Je sais!… — Tu ne sais pas Agathe! La jeune Indienne n’osait répliquer. Elle comprenait l’amertume de sa tante : les Français avaient réussi à réduire
le peuple iroquois à quelques petites réserves situées autour de Montréal. Ils avaient pris la meilleure partie des terres, leur laissant une région inculte qui réussissait à peine à les nourrir. Le gibier se faisait rare. Les hommes, amoindris par un travail ingrat, abusés par l’eau de vie, humiliés par les sarcasmes et la haine, n’étaient plus que l’ombre d’eux-mêmes.
Voilà ce qui restait du peuple valeureux de jadis! Alors! Que son frère vive encore dans un monde d’illusions. Ce n’était pas elle, Agathe, qui l’en blâmerait. La réalité le rattraperait bien assez
vite! — Je peux aller le chercher, moi! s’exclama soudain Thomas, qui assistait depuis un moment à la conversation entre les deux femmes. — Tu
n’en feras rien! fit la tante, avec autorité — Mais! Je… — Tu m’entends, mon fils? J’ai déjà perdu ta petite sœur!
Je ne veux pas te perdre aussi! Tu n’as que sept ans! — Je sais comment aller jusqu’à Saint-Placide… — Saint-Placide! Pourquoi, Saint-Placide?
— Simon a dit, ce matin… — Ne me dis pas que Simon s’est aventuré du côté de Saint-Placide! fit la tante, furieuse. — Bien…, euh… — Chut! interrompit Agathe. Le chien a entendu quelque chose! L’animal s’était
levé pour aller gratter près de la porte. Cette dernière s’ouvrit brusquement. Le vent s’engouffra dans la pièce et Simon, épuisé, s’écroula sur le sol, laissant tomber son précieux
paquet.
Le chien reniflait cette étrange chose qui s’agitait et se tortillait sur le sol de la cabane. — Qu’est-ce que c’est
que ça? s’exclama la tante de Simon, tout en chassant le chien de son pied. — Mais! C’est un enfant! constata Agathe, toute surprise, en voyant apparaître la petite frimousse qui la
regardait de ses grands yeux bleus. Elle s’empressa de prendre le bébé et le serra contre elle pour le réchauffer. Était-ce le froid qui engourdissait ses sens? Était-ce la
peur, ou la fatigue d’avoir trop pleuré? L’enfant n’émettait aucun son, ne bougeait presque plus. — Je…, je l’ai trouvé…, essayait d’expliquer
Simon entre deux inspirations. Il se rapprocha du feu. — Où as-tu volé ce bébé? Explique-toi! cria la tante. — Je ne l’ai
pas volé! — Ce n’est pas l’un des nôtres! C’est un enfant blanc! constata la femme en retirant la couverture du bébé… et il est tout mouillé! — Dépose-le ici, fit-elle, en désignant un vieux tapis près du poêle. Il faut le changer! Agathe posa doucement le bébé et entreprit de retirer sa petite jaquette. L’enfant
se laissait faire. — Où l’as-tu pris? insista la tante en se tournant vers Simon. — Je ne sais pas… exactement…, là-bas, dans
les bois… — Et sa mère? Où est-elle? — Je l’ai cherchée…, j’ai appelé! La tempête… — Regardez ceci! s’exclama soudain Agathe. Elle tenait dans sa main une petite médaille en or sur laquelle les lettres « EF » avaient été
finement gravées. — C’était épinglé à sa jaquette, expliqua-t-elle. — Maman! C’est une fille! constata Thomas
avec surprise. Le jeune garçon regardait l’enfant dénudée que sa cousine enveloppait d’une grande couverture de laine. — Qu’allons-nous
faire de cette petite? demanda Agathe. Sa tante prit le bébé dans ses bras et le serra tendrement contre elle en lui chuchotant de petits mots à l’oreille. Dans ses yeux brillait une étrange
lueur, comme si le contact de l’enfant apaisait la douleur qu’elle ressentait depuis la mort de sa fille. La tante de Simon ne se doutait pas que la décision qu’elle allait prendre aurait de graves conséquences dans le déroulement
de notre histoire.
|
|
|
|
|
|